Par Claude Semal (Auteur, Comédien, Agitateur, etc./ gauche / Belgique)
Opinion publiée le 28 mai 2023 par L'asymptomatique
J’éprouve pour Michel Onfray un curieux mélange de sympathie, de fascination et de répulsion. Comme si j’avais observé, derrière la vitre d’un aquarium, un gracieux animal exotique, ondoyant, coloré et venimeux. Ah ! ? C’est donc à cela que cela ressemble, un “traître” ? Car il est devenu pour moi évident que Michel Onfray, dont j’ai autrefois pu partager quelques combats et certaines analyses, roule aujourd’hui plein pot pour Marine Le Pen.
Étrange tête-à-queue pour ce philosophe “libertaire” qui, en 2002, avait créé l’Université Populaire de Caen en réaction à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, qui en 2007, avait encore appelé à voter pour Olivier Besancenot, et qui, jusqu’en 2010, tenait même une chronique dans le très “gauchiste” Siné-Hebdo ! Décidément, les AVC, les virus et les deuils ont parfois de bien curieuses conséquences (1).
Intellectuel brillant, pédagogue inspiré et
polémiste redoutable, Onfray a toujours parlé et pensé aussi vite qu’il
écrivait. Cent-dix-neuf livres depuis 1988 !
Comme si cet ancien étudiant boursier, qui devait bosser pour payer ses
études de philosophie, voulait en permanence rappeler l’étendue de son
savoir encyclopédique, et revalider trois fois par an sa position
sociale d’intellectuel médiatique.
C’est qu’avec un père ouvrier agricole et une mère femme de ménage,
Michel Onfray est l’un des seuls, dans le petit monde de
l’intelligentsia française, à pouvoir revendiquer des origines
“réellement” populaires.
Un des seuls aussi à se réclamer explicitement du socialisme “non marxiste” de Proudhon et d’autres penseurs libertaires.
Deux choses qui me le rendaient plutôt sympathique (même si, pour ma part, je me considère toujours comme “marxiste”).
Mais comme le résume aujourd’hui sa notice Wikipédia : “Alors qu’il
se définit comme libertaire et proudhonien, il suit une évolution
intellectuelle qui le pousse vers l’extrême-droite”. Il n’y a pas moins de six références bibliographiques, ensuite, pour justifier le contenu de cette phrase.
Ce parcours, il est vrai, a de quoi étonner. Et, bien qu’il s’en
défende, le constater n’est pas lui faire un imaginaire procès. Il
suffit de lire ou d’écouter n’importe quelle intervention de Michel
Onfray pour s’en convaincre.
On savait déjà, depuis la campagne présidentielle de 2012, qu’Onfray était explicitement anti-mélenchoniste (2). Il n’est pas le seul, me direz-vous. Certes.
Mais il y met une virulence et une constance que seule Nathalie Saint-Circq pourrait peut-être lui disputer sur France 2 (3).
Car depuis cette date, chaque fois qu’Onfray ouvre la bouche, dans tous
les médias réactionnaires où il a désormais son rond de serviette, c’est
pour associer Mélenchon à la guillotine et aux pires dictatures de la
planète, ou pour colporter à son sujet tous les ragots de
l’extrême-droite – dont celui sur sa prétendue “fortune” (4).
De plus, depuis la création de la NUPES, c’est non seulement toute la
France Insoumise qui est associée à cette même détestation, mais
l’ensemble de la gauche parlementaire, sous l’étiquette infamante de “gauche des barbelés et des miradors” (5). Brrrr.
Tremble, Peuple de France ! Les socialistes, les écologistes et les
insoumis préparent les futurs goulags de la République, quand ils ne
sont pas déjà en train de dresser leurs guillotines entre les platanes
des places publiques ! (Attention, lecteur distrait : cette phrase est
ironique).
Ce délire, qui repeint les parlementaires de la NUPES en tchékistes guillotineurs
(ou, variante tout aussi débile, en punks à chien débraillés), ferait
presque rire, s’il ne s’accompagnait pas, très symétriquement, d’une
banalisation permanente du Rassemblement National, et d’une valorisation
constante de Marine Le Pen, qui est visiblement devenue l’égérie du
“souverainiste” Onfray.
Ecoutez-le par exemple discourir dans l’émission “Punchline” sur Europe 1
et CNews (mis en ligne sur Youtube le 10 février 2023). Onfray, qui est
interrogé par Laurence Ferrari sur la “bataille des retraites” au
Parlement, lui répond ceci :
– “Le problème, c’est que la NUPES se projette déjà dans la
prochaine élection présidentielle, Mélenchon ira, et Le Pen ira aussi.
L’une joue une espèce de respectabilité...”
Ferrari : – “Marine Le Pen ?”
Onfray :– “Oui… On est bien poli, on est bien peigné, on est propre,
on est bien habillé, pendant que l’autre veut transformer le Parlement
en ZAD… Une façon de dire, la démocratie, on en a rien à faire, le
Parlement, on n’en a rien à faire, ce que veut le peuple, on n’en a rien
à faire … Je regrette, mais les gens qui ont voté pour Marine Le Pen,
c’est le peuple aussi, ce n’est pas le peuple de Mélenchon (…).
Ferrari : “… Et c’est à Marine le Pen que tout cela va profiter ?“.
Onfray : – “Pour l’heure, cela ressemble à ça. Elle montre une
espèce de respectabilité, elle montre qu’elle a équipe, elle montre
qu’elle a des gens qui travaillent, elle montre que ces gens-là se
comportent correctement…
On ne peut pas hurler, vociférer, on ne peut pas dire “Moi j’ai payé
mes études en étant dealer”, on ne peut pas arriver avec des baskets
effondrées et des T-shirts comme ça en disant “le peuple, c’est ça!”.
Ces gens ne connaissent pas le peuple. Le peuple ne se reconnaît pas
dans cette grossièreté, dans cette vulgarité, dans ce tutoiement 1793,
le peuple n’est pas grossier et vulgaire comme ces gens-là. Le peuple
c’est autre chose que ça“.
Difficile de ne pas entendre, après ce délirant comparatif :
– “…Le peuple, c’est Marine Le Pen”! Bien coiffée et bien habillée.
Description d’autant plus hallucinante, bourgeoise et tordue qu’en
relayant au Parlement le rejet massif de la réforme des retraites, les
député·es de la NUPES n’ont sans doute jamais été aussi proches de ce
fameux “peuple “, qui manifeste actuellement par millions dans les rues
de France contre cette même réforme inique !
Mais Onfray, qui se pose en commentateur “éclairé” de la chose publique,
ne se soucie plus même d’un quelconque vernis de véracité : il fait de
la pure propagande lepeniste.
En oubliant par exemple de préciser que ces gens “si polis, si bien
peignés et si propres sur eux”, proposent toujours, dans leur programme,
de priver de droits ou d’expulser de France des centaines de milliers
“d’étrangers”, ou insultent un député noir à la tribune, ou viennent de
voter contre l’augmentation du SMIC et contre l’imposition des grosses
fortunes (deux mesures pourtant éminemment “populaires”).
Mais c’est surtout dans sa revue “Front Populaire“ que le “projet politique” de Michel Onfray se trouve aujourd’hui crûment exprimé.
“Front Populaire” se présente en librairie comme “La revue des souverainistes de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part“. Comme on l’a vu, “ailleurs et nulle part” doit se traduire ici par “… et d’extrême-droite ! “, tant il reprend, dans ses thématiques et dans ses titres, tous les éléments de langage de la droite la plus extrême.
Ainsi, dans son dernier numéro, peut-on voir en couverture une tête coupée (…encore la fameuse guillotine !) avec comme titre “La Gauche (Im)morale de Robespierre aux Islamo-Gauchistes”.
Tout “l’art”, si je puis dire, de Michel Onfray, consiste alors à se
draper dans un imaginaire “de gauche”… pour démolir “la gauche”, pour la
réduire à un triste et sinistre cortège de “barbelés et de miradors“.
Et pour entraîner ensuite le lecteur égaré, comme le joueur de pipeau
de la fable, dans un univers parallèle, où c’est désormais … Marine le
Pen qui incarnerait à la fois “Le Peuple”, “La France”, la
“Souveraineté” (et même, pourquoi pas, “La Gauche”, puisque Onfray
continue étrangement à s’en réclamer !).
Pour ce faire, il faut bien tout son talent d’illusionniste, qui enfile
les sophismes et les absurdités comme autant de bulles de savon sur un
fil de fer barbelé. Ainsi, sous le titre “Leur Morale et la Nôtre, pour une gauche sans barbelés ni miradors”
(5), peut-on lire ce curieux développement. Suivez bien la petite boule
brune du bonimenteur. Vous la croyez ici ? Raté ! Elle était déjà
là-bas.
Dans un monde où les écologistes nomment “steak végan” une “mixture sans viande“, où notre époque produit “des femmes sans utérus (mais avec des testicules) et des hommes sans testicules (mais avec un utérus)” (6), où “des enfants donnent des leçons de politiques aux chefs d’État” (au lieu d’écouter sagement Michel Onfray), “pourquoi pas, dès lors, une extrême-droite sans extrême et sans droite ? (…) Une extrême-droite pacifique et non violente ?”
Vous avez suivi le “raisonnement” ? Il n’y a plus de viande dans les
steaks, et plus d’utérus sous ton sous-tif, DONC il n’y a plus
d’extrême-droite dans l’extrême-droite. CQFD. Dis, Michel, tu n’as pas
honte ?
Si vous n’avez pas bien suivi la baballe, voici la suite :
“L’usage insultant du mot “fasciste” ou de l’expression
“extrême-droite” vient de Joseph Staline, qui qualifie ainsi quiconque
ne souscrit pas à son totalitarisme sanguinaire. D’une certaine manière,
être le fasciste de ces fascistes qui recourent à des éléments de
langage stalinien, c’est mériter des applaudissements” (ibidem, p. 46).
Alors, vous n’applaudissez pas ?
Outre que cette phrase est historiquement inepte (ce n’est évidemment
pas Staline qui a “inventé” le fascisme, ni la dangerosité du
nationalisme d’extrême-droite), son objectif reste le même : encenser et
banaliser les fachos (…que nous sommes même au passage invités à
“applaudir” !).
Par un retournement très orwellien, auquel Onfray a en outre
l’outrecuidance de se référer, alors qu’Orwell a combattu les fascistes
les armes à la main, voilà donc l’extrême-droite repeinte en pacifiques
bisounours “… sans coups d’état, sans casques, sans treillis, sans
rangers, sans armes, sans putsch, sans blindés, sans militaires, sans
prisons” (sic), et la gauche, symétriquement renvoyée “aux barbelés et aux miradors“, et même, allons-y Lisette, au “terrorisme” : “Un peu de terrorisme”, voilà ce qui, peu ou prou, anime la gauche qui regarde vers Hégel & Marx, NUPES comprise bien sûr” (ibidem, p. 52).
Bien sûr, bien sûr. Est-ce que quelqu’un pourrait apporter sa tisane à
Michel, je crois qu’il est en train de nous faire un troisième AVC ?
Que retenir de tout ce brouet idéologique ?
Qu’Onfray est désormais devenu le sniper sans foi ni loi de tout ce qui
porte l’étiquette France Insoumise ou NUPES (et donc de tout ce qui
pourrait un jour conduire la gauche à la victoire).
Qu’Onfray se verrait sans doute bien, en gages de ses services, Ministre
de Quelque Chose dans un gouvernement mariniste et “souverainiste”.
“Voilà qui n’est ni rouge, ni brun, mais tricolore”
concluait-il dans l’éditorial du numéro 2 de “Front populaire”.
Tricolore, oui, oui : comme la petite flamme du Rassemblement National.
Claude Semal, le 15 février 2023.
Publication originale : L'asymptomatique
(1) Michel Onfray, qui revendique un infar et deux AVC, a perdu son
épouse en 2013. C’est pure méchanceté de ma part d’y voir un quelconque
rapport avec l’actuel contenu de sa production intellectuelle (mais il
faut bien trouver une cause biologique à cette hallucinante dérive).
(2) En 2012, quand il fallait choisir entre Sarkozy, Hollande et le
candidat du Front de Gauche, il appelle explicitement à voter blanc dans
une tribune du Nouvel Obs.
(3) C’est de ma part une boutade, mais la journaliste politique de
France 2, par ailleurs épouse d’un journaliste du Figaro, n’a jamais
réussi à cacher la profonde aversion de classe que lui inspire
Mélenchon. Face à lui, sa petite moue parfumée de mépris est un bonheur
toujours renouvelé.
(4) Entre mille exemple, chez Bourdin, sur BFMTV, le 16 sept 2020 : “Jean-Luc Mélenchon est dégagiste, il devrait appliquer cette théorie à lui-même” (Michel Onfray).
(5) Front Populaire n° 11, p. 45 et suivantes, “la gauche des barbelés fédérée par la NUPES“.
(6) La “trans” phobie, comme la détestation des protéines végétales,
sont de plus en plus souvent deux marqueurs de l’extrême-droite.