Guerre en Ukraine : périls nucléaires

Extrait de la vidéo "Plan A" de l'Université de Princeton, vidéo visible en bas de page 


 

Par Vadim Kamenka (Journaliste / gauche / France)

Publié le 2 septembre 2024 par l'Humanité.

Titre original : 

"Guerre en Ukraine : pourquoi les experts craignent une catastrophe nucléaire ?"


Les propos du vice-ministre russe des Affaires étrangères sur l’arme nucléaire ouvrent la porte à un éventuel recours en Ukraine. L’intensification des frappes russes et ukrainiennes fait également craindre des accidents irréversibles sur les nombreuses centrales présentes dans les deux pays, alertent de nombreux experts.


Le ton se durcit et le danger nucléaire refait surface. Après quatre semaines d’offensive ukrainienne dans la région de Koursk, en Russie, les autorités russes ont laissé entendre que l’utilisation de l’arme atomique serait en cours de réécriture. « Le travail est à un stade avancé et il y a une intention claire de faire des corrections (…) liée à l’escalade (des) adversaires occidentaux (de la Russie – NDLR) », a annoncé le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov.

Depuis l’invasion russe, le 24 février 2022, Moscou n’a eu de cesse de mettre en garde l’Ukraine et les Occidentaux sur un certain nombre de lignes rouges concernant l’aide et les armements envoyés. À maintes reprises, le clan le plus dur au sein du pouvoir a alerté sur le possible recours à l’arme nucléaire.

Cette déclaration d’un ministre est-elle une simple étape ou un tournant ? « Après une certaine accalmie, le danger de son utilisation revient mais dévoile aussi les limites de la dissuasion nucléaire et de la doctrine russe de 2020. Parmi les principes, on note l’utilisation en cas d’agression contre la Russie et ses alliés ou quand l’existence même de l’État est menacée », analyse Jean-Marie Collin, directeur de Ican France. « Ce qui se passe à Koursk depuis un mois n’a pas eu pour conséquence une frappe nucléaire. Heureusement. Mais cette nouvelle volonté de préciser un certain nombre de points démontre les failles de la dissuasion. »

Une réponse à la doctrine américaine


En 2020, le président russe avait redéfini la doctrine nucléaire. À l’époque, il s’agissait du premier texte diffusé publiquement afin que les dirigeants des principales puissances – États-Unis, Europe et Otan – en prennent conscience. Vladimir Poutine a modifié l’approche exclusivement défensive pour élargir les termes d’utilisation.

« Cette doctrine met en exergue notamment des conditions d’emploi en premier en cas de menace nucléaire ou en cas d’actions hostiles menées contre la Russie (et/ou contre ses alliés) qui n’impliquent pas nécessairement l’emploi d’armes nucléaires mais conventionnelles menaçant l’existence de l’État », relevait le directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, Igor Delanoë.

Les propos de Sergueï Riabkov visent-ils les alliés de l’Ukraine ? Volodymyr Zelensky a réclamé davantage de soutien militaire et surtout de lever « toutes les restrictions » pour frapper « en profondeur » le territoire russe. Pour Patrice Bouveret, président de l’Observatoire des armements, « le discours russe est une réponse aux durcissements de la doctrine américaine, publiés récemment dans Nuclear Posture Review. Cette stratégie vise clairement d’éventuelles confrontations nucléaires coordonnées avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord ».

Crainte d’un accident sur les nombreuses centrales présentes dans les deux pays

Sur le terrain, une autre menace demeure : une catastrophe nucléaire. Les frappes russes et ukrainiennes font craindre un accident sur les nombreuses centrales présentes dans les deux pays. L’AIEA et les Nations unies ont condamné les combats intenses autour d’installations nucléaires, en Ukraine à Zaporijjia et dans la région de Koursk en Russie. « Nous continuons d’appeler (…) à la plus grande vigilance pour éviter un incident nucléaire, dont les conséquences pourraient être catastrophiques pour la région et le monde », a exhorté Miroslav Jenča, sous-secrétaire général au département des affaires politiques et de la consolidation de la paix de l’ONU.

Pour Jean-Marie Collin, « les risques d’un tir accidentel sur une centrale sont réels. Les conventions de Genève de 1949 protègent les installations que sont les barrages, les digues et les centrales nucléaires. Il faut faire respecter ce droit international pour la sécurité de tous ».

Les défenses antiaériennes ukrainiennes ont abattu 22 missiles russes dans la nuit du 1er au 2 septembre. « C’est le véritable risque, plus le conflit s’intensifie et dure. Il ne faut pas minimiser, outre un tir accidentel, les difficultés de la maintenance des centrales qui se trouvent sur le front et des conditions de travail des employés. Un accident peut venir d’une erreur humaine, d’une panne d’électricité ou de hackers… Il faudrait que l’opinion publique et les nations prennent davantage compte de ce danger en envoyant des experts indépendants sur place », estime Patrice Bouveret.

Dans une semaine, la 79e session de l’Assemblée générale de l’ONU va débuter. L’insécurité mondiale que fait porter ce conflit devrait être une des principales préoccupations des États. « La stratégie de dissuasion nucléaire ne fonctionne pas. Elle démontre que les États détenteurs ne peuvent déclencher une frappe en réponse à la moindre attaque. Il faut donc repenser notre système de sécurité et porter, comme de nombreux États, le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) », conclut Jean-Marie Collin.

Publication originale sur l'Humanité
 



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